MALLARME AUMONE
MALLARME
AUMONE
Prends ce sac,
Mendiant! Tu ne le cajolas
Sénile nourrisson d'une tétine
avare
Afin de pièce à pièce en égoutter
ton glas.
Tire du métal
cher quelque péché bizarre
Et vaste comme nous, les
poings pleins, le baisons
Souffles-y qu'il se torde! Une ardente
fanfare.
Église
avec l'encens que toutes ces maisons
Sur les murs quand berceur
d'une bleue éclaircie
Le tabac sans parler roule les
oraisons,
Et l'opium
puissant brise la pharmacie!
Robes et peaux, veux-tu lacérer
le satin
Et boire en la salive l'heureuse inertie,
Par les cafés
princiers attendre le matin?
Les plafonds enrichis de nymphes et
de voiles,
On jette, au mendiant de la vitre, un festin.
Et quand tu
sors, vieux dieu, grelottant sous tes toiles
D'emballage,
l'aurore est un lac de vin d'or
Et tu jures avoir au gosier les
étoiles!
Faute de
supputer l'éclat de ton trésor,
Tu peux du moins
t'orner d'une plume, à complies
Servir un cierge au saint
en qui tu crois encor.
Ne t'imagine pas
que je dis des folies.
La terre s'ouvre vieille à qui
crève la faim.
Je hais une autre aumône et veux que
tu m'oublies.
Et surtout ne va pas, frère, acheter du pain.
Stéphane Mallarmé